Beita : Un modèle de résistance inébranlable face à la colonisation israélienne

https://www.alhaq.org/publications/22849.html

30، Mar 2024

À l’occasion de la Journée de la Terre 2024, en l’honneur de la résilience et de la lutte des Palestiniens contre le colonialisme sioniste, Al-Haq lance son rapport intitulé : “Beita : Un modèle de résistance populaire inébranlable défiant la colonisation israélienne“. Alors qu’Israël poursuit sans relâche son génocide contre le peuple palestinien à Gaza, il continue simultanément d’enraciner son projet de colonisation sioniste ailleurs dans la Palestine historique. Ce rapport met en évidence la résilience et l’endurance du peuple palestinien dans sa lutte pour la liberté à travers le modèle unique de résistance populaire dans le village de Beita contre l’entreprise de colonisation d’Israël, et malgré la répression violente par Israël de la résistance à ses actes coloniaux et annexionnistes.

S’appuyant sur la documentation historique d’Al-Haq depuis les années 1980 et sur des recherches approfondies menées sur le terrain entre mai 2021 et mai 2022, le rapport retrace le défi et la lutte historiques et continus des résidents palestiniens de Beita, situé au sud-est de Naplouse en Cisjordanie occupée, contre la colonisation israélienne. Il décrit deux étapes importantes de la lutte du village. Tout d’abord, le défi lancé par les habitants de Beita dans les années 1980 lors de la première Intifada, à la suite du meurtre de deux habitants par des colons israéliens armés, et la campagne de punition collective israélienne qui s’en est suivie contre l’ensemble du village. Deuxièmement, la résistance populaire continue de Beita contre l’établissement de l’avant-poste colonial “Evyatar” sur leurs terres au Mont Sbeih (Jabal Sbeih) en mai 2021, au milieu du soulèvement de l’Unité.

Le rapport analyse le modèle unique de résistance populaire et de fermeté à Beita mené par les “gardes de la montagne” depuis mai 2021. Ce modèle, qui se caractérise par le fait qu’il est organisé et dirigé par le peuple, intergénérationnel, et qu’il inclut tous les membres de la société, reflète une communauté unifiée et la ferme conviction que la résistance est un effort permanent.

Beita représente l’expérience de nombreux villages et villes palestiniens persécutés par des décennies de colonisation, menée par la violence, l’appropriation de terres, la punition collective, les fermetures, l’assujettissement économique et la création d’environnements coercitifs, pour finalement transférer de force les Palestiniens de leurs terres et les remplacer par des colons israéliens. Le rapport examine les politiques et les pratiques d’Israël en matière de soutien à la colonisation de Beita, en particulier à la lumière des tentatives actuelles de “légalisation” de l’avant-poste colonial d’Evyatar.

Le rapport souligne en outre la répression systématique par Israël de toute forme de résistance palestinienne. En tentant d’écraser l’esprit de résistance populaire à Beita, les forces d’occupation israéliennes ont utilisé une force inutile et disproportionnée contre les manifestants, tuant dix Palestiniens et en blessant 6 454 autres, y compris des ambulanciers et des journalistes, et détenant arbitrairement 150 résidents de Beita au cours de la période couverte par le rapport, entre mai 2021 et mai 2022. Israël a également imposé des mesures de punition collective, effectué des raids, fermé les entrées du village, révoqué les permis de travail et nivelé les routes et les infrastructures pour empêcher les manifestations et la circulation des ambulances. Voici les noms des dix Palestiniens tués : Issa Suliman Barham (40 ans), Tariq Omar Snobar (27 ans), Zakaria Maher Hamayel (25 ans), Mohammad Saed Hamayel (16 ans), Ahmad Zahi Bani Shamsa (15 ans), Shadi Omar Salim (41 ans), Imad Ali Dweikat (38 ans), Mohammad Ali Khabisa (28 ans), Jamil Jamal Abu Ayash (32 ans), Fawaz Ahmad Hamayel (47 ans).

En interrogeant les survivants de la campagne de punition collective de 1988 et ceux qui subissent la répression depuis mai 2021, le rapport souligne l’impact profond et continu de la violence israélienne sur la santé, le statut socio-économique et le bien-être psychologique de la communauté de Beita. Les personnes particulièrement touchées sont les membres de la communauté qui ont perdu leurs proches et/ou leurs maisons, ceux qui ont développé des handicaps à la suite de leurs blessures, ainsi que ceux qui ont été exilés du village et dont les droits humains fondamentaux ont été bafoués en exil.

La violence des colons israéliens à l’encontre des habitants de Beita s’est poursuivie au-delà de la période couverte par le rapport. Tout au long de l’année 2023, les habitants de Beita ont été soumis à une force inutile et disproportionnée. Depuis le 7 octobre 2023, les FIO ont tué cinq habitants de Beita à balles réelles, dont quatre enfants : Imad Jareh Majed E’daily (16 ans), Karam Ayman Mohammad Dweikat (17 ans), Mohammad Ibrahim Fahed Bahloul (10 ans), Mu’ath Ashraf Faleh Bani Shamsa (16 ans) et Ameed Saed Ghaleb Bani Shamsa (34 ans). D’autres actes de l’IOF contre la communauté comprennent des attaques de colons, des fermetures de routes et des restrictions de mouvement, des raids et des campagnes d’arrestation, des attaques contre le personnel médical et paramédical, et l’obstruction de leur travail et de leur capacité à accéder aux blessés, aux hôpitaux et aux installations de soins de santé. Israël continue également de s’en prendre aux biens immobiliers palestiniens à Beita, notamment en détruisant au bulldozer et en nivelant la route menant à la décharge du village, et en démolissant des structures appartenant à des particuliers dans le village, dans le but d’étendre les colonies.

Le rapport Beita témoigne de la Nakba en cours, de la lutte continue du peuple palestinien contre le régime d’apartheid colonial israélien, qui engendre une violence systématique à l’encontre du peuple palestinien et le prive de son droit à l’autodétermination. Le rapport replace l’expérience de Beita, qui a défié le régime d’apartheid colonial israélien, dans le cadre du droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination et de son droit à résister à la colonisation dans la poursuite de la liberté, de la justice et de la dignité. La résilience et la résistance dont ont fait preuve les habitants de Beita reflètent non seulement leur profond sacrifice, mais aussi la quête incessante de libération et de justice du peuple palestinien.

Alors que nous commémorons le 48e anniversaire de la Journée de la terre, le jour où la police israélienne a tué six Palestiniens de nationalité israélienne qui protestaient contre l’expropriation par Israël de milliers de dunums de leurs terres en Galilée, nous soulignons la lutte continue du peuple palestinien pour défendre ses terres contre le projet colonial des colons sionistes, notamment l’expansion sans cesse croissante de l’entreprise coloniale d’Israël, l’annexion et la répression violente de son droit d’exister en tant que peuple sur sa terre.

Pour connaître l’histoire de Beita, veuillez consulter le rapport complet en anglais ici.

Autres sources :

  • Voir : L’infographie de Visualisation de la Palestine intitulée “Résistance populaire palestinienne en cours à Beita – Gardiens de la montagne” ici en anglais, arabe et espagnol.

Traduction : AFPS-Rennes

Soutien à la coopérative Al Sanabel au BabaZula le 24 nov. à partir de 19h

SOLIDAIRES AVEC    LA PALESTINE

Fête artistique à partir de 19h au BabaZula 182 av du Général Patton, Rennes (ligne b : arrêt gros chêne, Bus C5 et C9)

 

 

Intervention visio de Raed Abu Yusef, responsable d’une coopérative de production de jus de raisin à Halhul en Cisjordanie.

 

Two Men in blue musique blues.

Yalla : Lecture théâtrale ; texte de S. RISTIC par F. BECHRI et M-L BONOT

Rien dans les Poches et les Sœurs Semelles chants du monde

Soirée au bénéfice de la coopérative Al Sanabel de Halhul en Cisjordanie

Buffet : tartes, pâtisseries orientales,   soupe marocaine,  punch …

Entrée libre.

https://rennespalestine.fr                                 

contact-afps@rennespalestine.fr

 

Non à la répression des manifestations dans la Bande de Gaza

Dans un communiqué publié hier 19 mars [1], le Conseil des organisations palestiniennes de défense des droits de l’Homme [2] s’inquiète de l’effondrement de la situation des droits de l’Homme dans la Bande de Gaza, et de l’usage excessif de la force par les services de sécurité, face aux manifestations pacifiques qui se déroulent depuis le 14 mars.

Depuis cette date, de nombreuses manifestations ont lieu dans la bande de Gaza pour protester contre la vie chère et la situation économique désastreuse.

L’Association France Palestine Solidarité (AFPS) rappelle que cette situation est avant tout l’effet du blocus inhumain, proscrit par le droit international, qui étouffe l’économie palestinienne depuis maintenant 12 ans, après avoir commencé à la détruire depuis encore plus longtemps, une situation insupportable dénoncée par les manifestations de la population palestinienne. Mais le pouvoir de fait institué à Gaza a choisi de réprimer ces manifestations, emprisonnant des leaders de différents partis politiques palestiniens et les soumettant à de mauvais traitements. Ce sont des pratiques que l’AFPS dénonce, quels qu’en soient leurs auteurs.

L’AFPS demande aux autorités de Gaza, comme elle l’a demandé en son temps à celles de Ramallah, de libérer les personnes emprisonnées et de laisser s’exprimer la voix du peuple palestinien. Elle appelle les organisations palestiniennes à retrouver le chemin de l’unité face à une occupation qui cherche à détruire le peuple et la société palestinienne.

Elle rappelle que le blocus de Gaza, et la poursuite de l’occupation depuis plus de 50 ans, sont les premiers responsables d’une situation de plus en plus intenable pour l’ensemble du peuple palestinien. Il est temps, il est grand temps, que les États du monde entier imposent à Israël le respect du droit, en commençant par la fin de l’occupation et la levée du blocus de Gaza.

Le Bureau national de l’AFPS
20 mars 2019

[1cité notamment par Maan News en arabe

[2Le Conseil des organisations palestiniennes de défense des droits de l’Homme comprend dix organisations dont Al-Haq (titulaire en décembre 2018 du prix des droits de l’Homme de la République française), Al-Mezan, le Centre Palestinien des Droits de l’Homme, l’association Addameer pour la défense des prisonniers.

Une rave a Ramallah : Comment la musique underground rassemble les Palestiniens

Histoire du tout premier plateau de Boiler Room (Chaufferie) jamais installée sur le territoire palestinien et ce que cela pourrait signifier pour les DJ et les producteurs qui en viennent.

Par Megan Townsend

« Il n’y a pas beaucoup de gens qui viennent en Palestine, ce n’est pas si facile pour eux de venir », dit Ama, pionnier des DJ de Cisjordanie, parlant sur fond de techno industrielle fiévreuse et un enregistrement contrasté de rues tranquilles cosmopolites.. « Tout le monde a l’impression que c’est une zone de guerre, aussi ce n’est pas trop tentant… Ce n’est pas comme Berlin, tu sais. »

Harcelés par les menaces de démolition, les clashs violents avec les autorités israéliennes et les convulsions politiques, les territoires occupés sortent rarement des gros titres. Mais tout ceci semble très loin de cette cour ensoleillée de Ramallah.

C’était une après-midi de juin et les foules ne semblaient pas concernées par les nouvelles ; c’est la première fois que Boiler Room (Chaufferie), la chaîne musicale la plus suivie au monde, diffuse depuis le territoire palestinien. Le premier plateau de la journée, venu du Jazar Crew basé à Haïfa, montre un groupe à la mode habillé de couleurs vives installé autour des platines. Dansant juste derrière les DJ, il y a une femme, les yeux fixés sur la caméra, portant un haut en mailles transparentes et un faux niqab. Cela ne ressemble pas à une zone de guerre. Cela ressemble à une fête géniale.

La décision d’émettre depuis Ramallah a une énorme signification pour les Palestiniens. C’est reconnaître l’intensité du talent qui vient de la région et cela aide à combattre le stéréotype comme quoi la Cisjordanie serait une zone de non-droit conservatrice, non-laïque et criblée de terrorisme. L’émission depuis la Cisjordanie fut l’une des transmissions les plus populaires de Boiler Room en 2018, le groupe de Sama bénéficiant de 1.300.000 vues sur YouTube.

Mais de façon plus importante, elle réunit des musiciens underground de factions palestiniennes déconnectées : il y a ceux qui vivent en Cisjordanie, qui grandissent en parlant arabe et qui ne peuvent aller librement en Israël, et il y a les Palestiniens d’Israël, qui grandissent en parlant hébreu et qui se battent pour se connecter avec la scène de Cisjordanie au-delà du visionnage de clips sur YouTube.

Lancer une fête qui programme les meilleurs et les plus brillants artistes des deux régions, ce n’est pas juste apprécier leur talent, c’est construire activement un pont et réunir des communautés qui ont été séparées à la fois géographiquement et culturellement depuis des décennies.

« Il y a une énorme coupure entre les villes palestiniennes depuis très très longtemps », dit Sama, » mais en fin de compte, nous faisons tous partie du même peuple, nous sommes tous Palestiniens et nous partageons tous la même culture. »

Buvant à grands traits de la bière en bouteille et tirant de longues et méditatives bouffées de cigarette, l’assemblée (garçons et filles à part égale) se déplace vers un éventail de sonorités underground : il y a une petite drum’n’bass, une touche de rababa arabe traditionnelle et un peu de grosse caisse berlinesque, le tout réuni à des synthés ambiants qui semblent étrangers, quoique étrangement familiers.

Beaucoup en occident supposent que la culture palestinienne est très conservatrice, que les hommes et les femmes ne se mélangent pas, qu’ils ne boivent pas et ne se droguent pas, qu’ils ne peuvent pas dévoiler leur homosexualité, qu’ils ne pratiquent pas des fêtes en masse, », dit la directrice britannique Jessica Kelly, qui a travaillé avec Boiler Room pour créer Palestine Underground, au suivi du documentaire jusqu’à sa soirée de lancement à Ramallah. « Bien sûr, les valeurs conservatrices sont plutôt prédominantes en Cisjordanie, mais notre film montre une autre réalité, très différente de ces stéréotypes. »

Maîtresse de Cérémonie (MC) et productrice de hip-hop, Makimakkuk pense que payer un tribut à la culture palestinienne grâce à la musique est la meilleure forme de résistance (Boiler Room)

En réalité, pendant la première transmission de la fête sur Facebook, les spectateurs ont laissé plein de commentaires pour demander où elle avait été tournée, insistant sur le fait que ce ne pouvait être à Ramallah, ville la plus peuplée et épicentre de la résistance en Cisjordanie. Sans doute la capitale culturelle palestinienne, Ramallah, sert de centre pour la restauration, les arts et la vie nocturne ; cette ville de seulement 24.000 habitants a eu une très vaste influence sur les Palestiniens depuis bien avant l’occupation israélienne.

Palestine Underground fait ressortir cet aspect de Ramallah. Nous y voyons des rues animées et des familles affluant dans la rue au soleil, plutôt que des pneus brûlés ou des manifestations massives. Ramallah ressemble à n’importe quelle autre agréable ville du sud-est de la Méditerranée. Les immeubles ne sont pas en ruine, les gens vaquent à leurs occupations quotidiennes, il y a des palmiers et des fanions de football accrochés aux balcons. Ramallah n’apparaît pas comme une ville troublée, mais comme un terrain fertile en créativité.

Depuis le milieu des années 2000, le hip hop a régné dans la ville comme sonorité populaire underground. Le personnage le plus éminent est Muqata’a (arabe pour « perturber »), rappeur et DJ qui a sculpté une sonorité distincte inspirée des rues affairées. A Ramallah, la scène est limitée par ses capacités restreintes, la plupart des événements prenant place dans des maisons particulières et des lieux tout petits. Dans le documentaire, nous voyons une archive tournée chez Lawain, minuscule restaurant italien qui se transforme le soir en night-club. Le mouvement est constitué d’un petit ombre d’individus passionnés et de leurs fans dévoués, qui expriment leur fascination de longue date pour la culture underground et qui l’utilisent par ailleurs comme une voie d’expression et de manifestation.

Muqata’a s’introduit dans le centre ville, sort son téléphone et commence à enregistrer le paysage sonore de la zone. Les travaux de construction, les marchés bourdonnants avec les marchands criant les affaires du jour, les bavardages chez les coiffeurs et les enfants criant dans les terrains de jeu. « Voilà le son de Ramallah », plaisante-t-il, nous conduisant à travers un bazar tortueux. « Notre culture est peu à peu effacée… volée, nous perdons notre nourriture, nos vêtements, notre musique. Pour moi, réutiliser les sons venus de notre culture c’est, d’une certaine manière, la garder en vie et résister. »

Muqata’a mixe ensuite les sons avec des rythmes électroniques et rappe par-dessus ; une signature « sonorité de Ramallah » devenue iconique dans la musique palestinienne. Plus loin dans le film, nous voyons Jazar Crew, collectif d’Israël qui cite Muqata’a comme l’une de ses inspirations, l’écoutant très excités dans leur voiture. « C’est l’entraînement depuis Bansa Bansa ! », annoncent-ils.

Active place du marché à Ramallah (Boiler Room)

Muqata’a – connu comme le parrain du hip-hop palestinien – a commencer à rapper en 2007 avec le groupe Ramallah Underground, mais il a perçu leur musique comme trop éloignée de la Cisjordanie, et par ailleurs plus étroitement liée aux Américains et autres mouvements hip-hop arabes. En 2009, il a commencé à travailler avec le groupe Saleb Wahad dans lequel se trouvaient les rappeurs Dakn, Julmud, Haykal, Al Nather et la première remarquable Maîtresse de Cérémonie de Cisjordanie (MC), Makimakkuk.

Nous suivons Muqata’a jusqu’à un sombre studio en sous-sol, et le groupe commence à improviser librement sur un accompagnement de basse endiablée et de vieux vinyles arabes. Le son est imprégné d’autant d’identité culturelle que les paroles, semblable aux mouvements dissidents comme la poussière de charbon britannique. Les artistes opinent du chef et rigolent tout enbrouillant les lignes, avec des tapes dans le dos tout en marmonnant des mesures. Les paroles ne sont pas particulièrement politiques ou provocantes, elles sont plutôt drôles et autoréférentielles et pleines d’argot de Ramallah. Dakn rappe sur une fille qu’il a rencontrée au marché, tandis que tout le groupe saute frénétiquement dans tous les sens en chantant « Le ramadan a un coût ! »

Muqata’a cependant insiste sur le fait que le mouvement hip-hop de Ramallah est lourdement influencé par la politique et le besoin de changement. « Nous vivons une situation politique qui stagne et nous avons donc besoin de ce genre de perturbation. » L’attaque sur l’establishment ne se fait pas franchement, explique Makimakkuk. « Elle est subtile », opine-t-elle. « Nous résistons en gardant notre culture vivante et en continuant à créer des choses fraîches, nouvelles et intéressantes. »

« Nous avons eu ici des artistes pour faire de la techno avec de la musique commerciale arabe », dit-elle en riant, « les choses semblent politiquement tristes, mais c’est une période vraiment excitante à Ramallah. »

Cette résistance subtile a gagné en popularité, non seulement en Cisjordanie, mais aussi dans les autres communautés palestiniennes et – même – chez les Israéliens. Le journal israélien de langue anglaise Haaretz a publié un article sur la popularité croissante du hip-hop palestinien à Tel Aviv, mettant en relief les vedettes montantes de Ramallah, Nazareth et Haïfa.

Pendant la fête de Boiler Room à Ramallah, Deborah Ipekel, programmatrice et réalisatrice adjointe de Palestine Underground détaille la somme de commentaires positifs venus d’Israéliens. « Cela a dû être très surprenant pour plein de gens de découvrir un nouvel aspect de la Palestine », continue-t-elle à dire. « Un commentaire disait : ‘Plein d’amour depuis Israël ! Puissions nous tous être capables de vivre en paix et en harmonie les uns avec les autres. L’ensemble est absolument fantastique, J’aimerais tant pouvoir venir un jour à Ramallah et même y faire une rave ou deux.’ Pour les artistes de Ramallah, le spectacle de Boiler Room fait progresser la scène. Il leur donne la motivation pour continuer ce qu’ils font. Ils m’ont dit que le spectacle a été l’une de leurs plus fortes célébrations à ce jour. »

L’influence de Saleb Wahad peut aller loin, mais ils ont encore à se produire au-delà de la Cisjordanie. « Je n’ai jamais pu jouer en [Israël] », confirme Muqata’a, bien que sa carrière ait déjà plus de dix ans. « J’ai essayé de jouer à Haïfa depuis quatre ans. Le Jazar Crew m’a invité, mais cela n’a pas marché parce que je n’ai pas obtenu l’autorisation d’y aller, alors même que j’en suis originaire. »

Quoique centré sur Ramallah, le documentaire explore la scène musicale underground palestinienne à travers Israël, regardant aussi les clubs sur la côte à Jaffa et à Haïfa. Le contraste entre les régions est visible dans la liberté des artistes. Tandis que les Palestiniens avec des passeports israéliens peuvent aller en Cisjordanie relativement facilement, et organiser des fêtes sans trop de difficultés, les restrictions de circulation sur les résidents de Ramallah ont affecté leur capacité à étendre leur musique au-delà de la ville et à communiquer avec les Palestiniens en dehors du territoire.

Muqata’a n’a pas encore joué en Israël, bien qu’ayant demandé à aller à Haïfa ces quatre dernières années (Adlan Mansri)

Quelque 1.800.000 Palestiniens vivent en Israël, Haïfa, ville de la côte nord, abritant l’une des plus grandes communautés palestiniennes. La ville est amusante et dynamique, mélange de Tel Aviv et de Jérusalem. Beaucoup plus paisible que ses voisines, elle est connue pour être un paradis relatif pour la coexistence entre les populations juive et musulmane.

Ceci n‘empêche pas les Palestiniens de se sentir mis à l’écart de la culture des clubs et c’est pourquoi Jazar Crew a commencé à lancer ses propres fêtes, pour proposer des espaces sûrs à la jeunese palestinienne, à l’écart des regards indiscrets des conservateurs palestiniens et des autorités israéliennes. Constitué d’amis Ayed, Reojeh, Riyad et Hilal, Jazar Crew a démarré à cause du manque de vie nocturne offerte aux Palestiniens.

« Il n’y a rien pour nous, en tant que Palestiniens vivant en Israël », dit Ayed, se roulant un joint sur la table chez lui. « Chaque fois que vous sortiez dans les clubs, vous vous sentiez comme un intrus. Au bout de quelques années, nous avons réalisé que OK, arrêtons d’être des consommateurs, devenons des producteurs. »

Riyad rappelle que, pendant la première partie de 2011, les nouvelles du printemps arabe ont interrompu les démarches. « Au milieu de la fête, les gens ont commencé à recevoir des avertissements et des messages depuis l’Egypte comme quoi la révolution arrivait. C’était une putain d’euphorie, ‘Ouah ! Le monde est sauvé. Tout va être formidable’, » dit-il en riant, recrachant la fumée. « Finalement, le lendemain, ne restait que la gueule de bois, pas vraiment la révolution. » Ce qui suit, c’est l’enregistrement des amis pris dans leur propres archives de fête. Nous voyons le groupe trimballant systèmes audio et platines dans des parties reculées du désert, jouant des rythmes comme d’un piège, et des drum’n’bass. La fête semble chaotique ; des danseurs torse nu bougent sous des lumières stroboscopiques au milieu d’une clairière sablonneuse.

Pour Jazar Crew, procurer un espace sûr aux Palestiniens ne veut pas simplement dire procurer une offre différente de celle des Israéliens. « Dans la communauté arabe palestinienne, il y a sept ou huit ans, vous auriez rarement vu une file fumer une cigarette dans une fête », dit Ayed. « la piste de danse de Jazar donne cette opportunité à tout le monde, tu peux être toi même, tu peux danser comme un fou, tu peux te mettre à poil, tu peux fumer et tu peux te rouler un joint. » Hilal rit. « Pas te mettre à poil, je n’étais pas là Ayed. »

Il est clair que les motivations de Jazar Crew ne concernent pas l’exclusion, mais le changement de perception sur les Arabes. Jazar Crew a récemment ouvert leur nouveau lieu, Karabeet à Haïfa. Le club est caractéristiquement « underground », bénéficiant d’une vaste zone fumeurs et d’une piste de danse sombre et intime. Mais en même temps, l’espace donne le sentiment d’être arabe avec son long passage médiéval éclairé de guirlandes lumineuses et couvert de fresques. On y pratique la politique de la porte ouverte et sans discriminations. Jazar Crew ne demande pas de papier d’identité à l’entrée et accueille les gens de toutes origines. « Je veux dire, tu ne résous jamais le racisme avec du racisme », déclarent-ils.

 « En tant que population, on nous a fait perdre notre confiance. Maintenant, c’est comme si nous étions finalement pleins de confiance, nous vivons notre propre identité. C’est une thérapie pour crise d’identité dont nous faisons l’expérience ici. »

Dans Palestine Uderground, Karabeet apparaît accueillant et chaleureux, tandis que la foule se balance sous les lumières pourpres. Arrive un fort rythme techno et la foule dresse les mains en l’air et crie, tout le monde s’embrasse et sourit. C’est difficile de ne pas se rappeler ces moments que nous avons tous vécu sur les pistes de danse, le fait d’être tous ensemble et de partager l’euphorie dans la musique. Peut-être que Jazar Crew a raison, peut-être pouvons nous apporter la paix par la rave [le délire, la fête].

Pour Jazar Crew cependant, un lien manque à leur réussite. Bien que grands fans de Muqata’a et du hip-hop de Ramallah qu’ils jouent dans leurs fêtes, le groupe n’est pas arrivé à se connecter avec eux. Dans le documentaire, alors qu’ils vont vers Boiler Room, les garçons regardent avec curiosité les rues de la ville par la fenêtre de la voiture. « C’est un endroit familier, mais pas familier du tout », commente Riyad, « je me sens comme un étranger alors que je me sens chez moi. »

Dans le film, le groupe, qui était le Maître de Cérémonie de la plupart des fêtes de Boiler Room, approche de Ramallah avec une appréhension presque étrangère, mettant en lumière la magnitude de l’événement et son rôle dans la réunion des communautés. Le tout premier rôle de Jazar Crew depuis le début a été de combler le fossé entre Ramallah et Haïfa, avec le DJ techno et le Oddz local de Ramallah.

« Depuis 2010, il y a eu un pont entre Haïfa et Ramallah, que Jazar Crew et moi avons construit, nous y avons travaillé pendant longtemps », dit Oddz, dont la techno intense lui a gagné des fans, pas seulement au Moyen Orient, mais dans toute l’Europe.

Jazar Crew espère combler la séparation entre Palestiniens israéliens et ceux qui vivent dans les territoires occupés (Adlan Mansri)

L’histoire d’Oddz dans Palestine Underground le suit passant en fraude de Ramallah à Jaffar, communauté palestinienne de Tel Aviv, pour jouer à Anna Loulou, nightclub sur la plage. Dans une scène, avec une caméra fixée sur la tête pour nous donner une vision à la première personne, Oddz escalade un mur de 8 mètres de haut à Jérusalem, sautant par dessus une brèche de barbelés et tombant pile en dessous sur le ciment. « Je me suis fait mal à la jambe », révèle-t-il dans une grimace effrontée, « mais ça valait le coup ».

La directrice Jessica Kelly partage ses inquiétudes avant le lancement du film, et la réaction des autorités israéliennes à ce moment particulier. « Je ne pense pas que cela va les emballer », dit-elle dans une grimace, « nous avons aussi pris la décision controversée d’utiliser, de façon interchangeable, les termes ‘Israël’, ‘Palestine occupée’ et ‘48’ pour faire comprendre comment les différents contributeurs du film font référence à Israël. Beaucoup d’Israéliens le verront comme un déni de l’existence d’Israël et s’en offenseront, mais pour nous, c’était un moyen pour faire comprendre au public de quoi parlaient les contributeurs. »

La scène est tranchée par un enregistrement de danse frénétique et de techno lors de sa nuit à Anna Loulou. Ce lieu est actuellement le seul lieu palestinien à Jafar et, dans une interview avec le propriétaire Marwan Hawash, il partage l’importance qu’il y a à conserver l’implication avec les artistes de Ramallah malgré le danger qui consiste à les faire entrer en fraude en Israël. « A l’instant où vous voyez un DJ de Ramallah ici à Jafar, cela dit quelque chose aux gens. Cela leur donne l’impression que les frontières n’ont pas d’importance, que nous pouvons les briser. » La scène avec la barrière met en lumière la séparation entre les deux communautés dans le film. Oddz marmonne d’un air de défi au début de la séquence d’ouverture : « Vous ne pouvez pas juste construire un mur et dire ‘vous ne pouvez pas faire ça’, c’est de la musique, c’est pour tout le monde. » On nous présente Oddz alors qu’il arrose ses plantes et qu’il tripote ses vinyles chez lui à Ramallah.

Sama espère qu’un jour, il y aura un festival en territoire occupé ‘cela va bousculer l’opinion du monde’ (Adlan Mansri)

La chaude cordialité que, dans cette scène, DJs et réalisateurs semblent ressentir pour Oddz est visible pendant sa séance Boiler Room. Au moins 20 personnes l’embrassent tout à tour alors qu’il monte vers les platines. Le son de sa musique est un mix au tempo rapide de rythmes durs européens et bondissants africains. Il est presque impossible pour la foule de les suivre. Mais le style techno d’Oddz est le seul qui vient de Ramallah. Seule DJ Palestinienne à tenir une séance en solo à Boiler Room, Sama a fait des vagues depuis juin parce qu’elle utilise des synthés inspirés des sonorités de Détroit et de Berlin.

Je la rencontre après un show à Paris, où elle vit depuis début 2018. Elle insiste pour dire que les fêtes en Europe ne sont pas mieux que celles de chez elle. « La façon de danser et l’énergie des gens dans une fête en Palestine sont aussi chaudes que dans une fête à Berlin. La seule différence, c’est que le nombre de personnes est très inférieur et le lieu beaucoup plus petit. Dans la techno, je trouve généralement que l’ambiance et l’énergie des gens sont les mêmes dans le monde entier. » Pour Sama, la décision de s’installer à Paris tenait moins au fait de s’engager dans la techno qu’elle avait découverte à 19 ans à Ramalah que pour pouvoir éviter les couvre-feux qui rendent les fêtes difficiles.

« Notre scène est plus nouvelle, plus fraîche, plus sympa qu’en Europe et je suppose que l’oppression fait que nos fêtes explosent un peu plus fort », dit-elle en riant.

Depuis l’installation de Boiler Room, Sama a vu une énorme montée en popularité de la scène palestinienne et de l’intérêt qu’on a pour elle en tant qu’artiste. Je l’interroge sur l’importance de cet ensemble et sur ce que cela signifiera pour les artistes de sa ville natale à l’avenir. « Avoir une ville avec ce niveau d’appréciation de la musique nous a fait sentir plus libres et nous a procuré quantité de motivations.

« Pour les Palestiniens qui s’intéressent à la musique électronique, nous ne sommes pas les étrangers qu’ils s’imaginent que nous sommes. Nous résistons avec notre musique, ensemble, nous sommes la révolution. »

Traduction : J. Ch. Pour l’Agence Média Palestine

Source: The Independent

4:3 & Boiler Room Presents – Palestine Underground